VIOLENCES POLICIÈRES ET CRIMINALISATION DES ACTIVISTES ET DES DÉFENSEUR.E.S DES DROITS HUMAINS

VIOLENCES POLICIÈRES ET CRIMINALISATION DES ACTIVISTES ET DES DÉFENSEUR.E.S DES DROITS HUMAINS

 

05 FÉVRIER 2021

À la mi-janvier, plusieurs manifestations ont éclaté aux quatre coins de la Tunisie. Les manifestant.e.s réclamaient une meilleure politique sociale et dénonçaient la répression et la brutalité policière, dix ans après la révolution de la liberté et de la dignité.

Dès les premières manifestations du 14 janvier 2021, plusieurs associations de la société civile tunisienne ont procédé au monitoring et à la documentation des violations policières qui ont eu lieu en marge de ces manifestations. L’observation des violations dénoncées, notamment dans le cadre du suivi de l’aide légale fournie par les associations signataires, a permis la révélation de chiffres alarmants quant à la réponse répressive à l’égard de ces manifestant.e.s :

  • Plus de 1500 arrestations, pour la plupart arbitraires, ont été recensées en l’espace de deux semaines à travers au moins 14 gouvernorats du pays. Plus de 30% des personnes arrêtées étaient des mineurs d’âge ;
  • Plusieurs violations ont été exercées à l’encontre des droits des personnes arrêtées : détentions arbitraires, humiliations, traitements inhumains et torture, menaces et intimidations verbales et physiques, harcèlement et surveillance en ligne ;
  • Un grand nombre d’activistes et de défenseur.e.s de droits humains ont également déclaré avoir été arrêté.e.s et/ou persécuté.e.s en raison de leur engagement militant.

Les associations signataires ont reçu au total 24 signalements de violations à l’encontre d’activistes et de défenseur.e.s de droits humains, et ont pu s’entretenir avec 9 d’entre eux/elles dans le but de recueillir leurs témoignages et les détails des violations et des dépassements subis. Les principales conclusions des consultations font l’objet du présent rapport.

Au niveau de la provenance géographique, 6 des répondant.e.s vivent dans le gouvernorat de Tunis (Bab Bhar, La Goulette, centre-ville), 1 dans le gouvernorat de Ben Arous (Mourouj), et 2 autres dans celui-ci de Kasserine (centre-ville et Sbeitla).

La moyenne d’âge des activistes et défenseur.e.s de droits humains interviewé.e.s est de 23,7 ans. Ils/elles sont de différentes appartenances militantes (syndicale, associative, politique). 3 sont étudiant.e.s, 2 ouvriers, 1 élève, 1 exerce une profession libérale et 1 salarié.

Les activistes et défenseur.e.s de droits humains interviewé.e.s ont été victimes de toutes sortes d’agressions de la part des policiers. D’abord, il y a l’agressivité, le manque de respect et les insultes (9 cas sur 10), ensuite, il y a les coups de pieds, coups de poings et gifles (8 cas sur 10). Un tiers des activistes et défenseur.e.s de droits humains interviewé.e.s ont indiqué avoir eu la nuque, le thorax ou le visage écrasé par le pied ou le genou d’un policier, avoir été victimes de jets de gaz lacrymogène ou d’eau, avoir reçu des coups à terre ou des coups de matraque. Trois d’entre eux ont déclaré que leurs appels à faire cesser les souffrances sont restés sans effet (voir tableau 1).

 

Figure 1. Type de violences subies par les activistes et DDH interviewé.e.s dans le cadre de ce rapport

Tou.te.s les répondant.e.s estiment avoir été victimes de discriminations, du fait de leur participation aux manifestations, et du fait de leur engagement militant. Plus généralement, ces discriminations concernent majoritairement les convictions politiques (6 sur 7 cas ayant subi des discriminations), mais également l’orientation sexuelle (4 sur 7), la langue, le lieu de résidence/région, le sexe, la profession et l’apparence physique.

L’analyse des chefs d’accusation (Rébellion et trouble à l’ordre public, dans la majorité des cas, mais également incitation contre un agent public, violation du couvre-feu/confinement ou      formation de bande) semble également indiquer une volonté des autorités de violer le droit de manifester ainsi que le droit d’expression exercés par les répondant.e.s. L’effet le plus patent est l’interdiction faite aux jeunes de Hay Ettadhamon, quartier populaire et marginalisé de la capitale tunisienne, de rejoindre le lieu de manifestation face à l’Assemblée des Représentant.e.s du Peuple, à Bardo, le 25 janvier 2021.

Les répondant.e.s ont fourni des informations de première main sur leurs trajectoires pénales et sur les violences subies. Certain.e.s ont été victimes de violences durant ou sur leur retour d’une manifestation, d’autres dans un commissariat de police ou dans un centre de détention, d’autres encore directement au sein de leur propre domicile, créant chez eux et leurs proches un état de détresse psychologique et un sentiment d’insécurité, les forçant parfois à se relocaliser chez des ami.e.s par crainte de nouvelles violences.

Deux répondant.e.s ont témoigné des conditions déplorables de détention au centre Bouchoucha. Avec 40 à 70 personnes par cellule, la distanciation sociale ne pouvait absolument pas être respectée. L’un d’entre eux avait attesté que le véhicule de transfert prévu pour transporter 9 personnes en comptait généralement 21. La nourriture et l’eau potable étaient insalubres, il n’y avait pas de lit pour se coucher, certain.e.s détenu.e.s avaient les mains menottées presque en continu.

Dans tous les cas, un procès-verbal a été dressé contre les activistes et les défenseur.e.s de droits humains interviewé.e.s. Cependant, 2 répondant.es sur 9 seulement estiment que les procès-verbaux dressés par les policiers relataient correctement les faits. 5 estiment que les PVs n’étaient pas conformes à la réalité des faits. Un répondant n’a pas pu avoir accès à son PV. 4 répondant.e.s estiment avoir été forcé.e.s à signer les PVs.

Grâce à leur déclaration, nous savons également qu’après l’arrestation, 6 d’entre eux ont été placés en garde à vue. 4 d’entre eux ont vu leur garde à vue prolongée au-delà des 48 heures légales. La procédure régulière qui consiste à motiver et à communiquer la décision de prolonger la garde à vue n’a pas été respectée. La totalité des gardé.e.s à vue attestent qu’ils/elles n’ont pas été informé.e.s de leurs droits en période de garde à vue.

Le recours à un.e avocat.e n’a pas été offert ou accordé quand demandé. Parmi les 3 répondant.es qui ont fait appel à un.e avocate durant leur garde-à-vue, 2 seulement y ont eu accès, après une grande résistance de la part des agents de police. Deux d’entre eux ont également été empêchés de contacter un.e proche afin de l’informer de leur mise en garde à vue.

Un seul des répondant.e.s gardé.e.s à vue avait fait la demande d’un examen médico-légal. Il a affirmé ne pas avoir eu accès à son certificat par la suite.

Associations signataires :

  • Forum Tunisien des Droits Economiques et Sociaux
  • La Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme
  • DAMJ pour la Justice et l’Egalité
  • Avocats Sans Frontières
  • L’Association Tunisienne de Défense des Libertés Individuelles
  • L’Organisation Mondiale Contre la Torture
  • Calam
  • L’Association Tunisienne de Prévention Positive
  • Le Groupe Tawhida Ben Cheikh
  • EuroMed Rights Tunis
  • Psychologues du Monde en Tunisie
  • Association pour la Promotion du Droit à la Différence
  • Shams
  • Mawjoudin
  • Intersection Association for Rights and Freedoms

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