Alors que l’Union européenne (UE) négocie avec la Tunisie un « partenariat renforcé » assorti de promesses d’aides financières en contrepartie d’un renforcement de la coopération en matière de migration, un accord fondé sur une intensification de la réadmission des migrant-e-s en situation irrégulière et une consolidation du rôle des gardes côtes tunisiens dans l’interception en mer ; et devant l’absence totale d’une réaction des autorités tunisiennes, ne serait-ce que pour appeler au calme et veiller à la sécurité et l’intégrité physique des un-e-s et des autres, la ville de Sfax a été le théâtre de plusieurs affrontements entre les populations locales et les migrant-e-s subsahariens installés dans la ville. Ces affrontements d’une violence inouïe ont engendré des victimes de part et d’autre.

Utilisant cette situation comme prétexte, les autorités tunisiennes ont opéré depuis quelques jours une vague d’arrestations suivie de reconduites forcées et illégales, effectuées sous la menace, dans le but de « purger » la ville de toute personne d’origine subsaharienne, en les déplaçant depuis le centre et les villes du gouvernorat de Sfax vers des destinations inconnues.
Des vidéos circulant sur les réseaux sociaux révèlent une multitude de bus arrivant de Sfax et se dirigeant vers les frontières tuniso-libyennes transportant les migrant-e-s. Ces personnes se retrouvent abandonnés dans des lieux déserts, avec des températures approchant les 50 degrés Celsius et livrées à elles-mêmes sans aucune assistance ni ressources.

Selon plusieurs sources concordantes et bien informées, notamment des témoignages sur le terrain, il a été confirmé qu’un groupe de 28 personnes est porté disparu, tandis qu’un autre groupe de 20 personnes parmi lesquelles des demandeurs d’asile, des femmes et des enfants, a été reconduit vers la zone frontalière de Ras Jedir. Ces événements ont été accompagnés de graves violations de droits humains : reconduite illégale et arbitraire aux frontières sous la menace, destructions des téléphones, absence d’assistance médicale et obstétricale, mauvais traitements et violences.

Jusqu’à présent, aucune communication officielle n’a été émise par les autorités concernant le sort de milliers de personnes étrangères qui se trouvent dans cette situation.

Ces pratiques des autorités tunisiennes reposeraient sur la présomption que les ressortissants étrangers seraient passés par la Libye ou l’Algérie avant d’entrer en Tunisie, même si certaines personnes ont été arrêtées alors qu’elles tentaient de quitter le territoire tunisien, interceptées en mer et ramenées sur les côtes tunisiennes, ou encore arrivées par voie aérienne plutôt qu’en traversant à travers les pays voisins.

Les agissements des autorités tunisiennes constituent une violation manifeste des dispositions de la convention de 1951 relative au statut des réfugiés, ratifiée par la Tunisie en 1957. La Convention de 1969 de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés d’Afrique dispose elle aussi que « Nul ne peut être soumis par un Etat membre à des mesures telles que le refus d’admission à la frontière, le refoulement ou l’expulsion qui l’obligeraient à retourner ou à demeurer dans un territoire où sa vie, son intégrité corporelle ou sa liberté seraient menacées pour les raisons énumérées à l’article 1, paragraphes 1 et 2. ».

En ce sens, les expulsions vers la Libye, qui ne peut en aucun cas être considérée comme un pays sûr vers lequel renvoyer des migrant.e.s, ne sont pas conformes au droit international et régional et au principe de non-refoulement. Nous tenons à rappeler à cet égard que ces expulsions arbitraires et illégales sont devenues une pratique courante.

Cet épisode est d’autant plus grave que la Libye est un pays dépourvu de législation sur le droit d’asile et où les pratiques de violence, de torture et d’esclavage à l’encontre des migrant-e-s, dont beaucoup en état de grande vulnérabilité, ont été maintes fois documentées et condamnées par la communauté internationale.

Les organisations signataires :
• Condamnent fermement les actes de violence commis à l’encontre des deux populations et demandent aux autorités tunisiennes de diligenter des enquêtes impartiales pour que toute la lumière soit faite sur ces faits et ces agissements ;
• Rappellent que les politiques d’externalisation des frontières de l’Union européenne aux pays du sud de la Méditerranée, les obligeant à jouer le rôle de garde-frontières, ont largement contribué à la situation dramatique actuelle ;
• Dénoncent les violations de droits humains dont sont victimes les personnes subsahariennes en mobilité en Tunisie ;
• Appellent à une intervention en urgence pour mettre fin à ces opérations de refoulement arbitraire et illégal et d’assurer une prise en charge adéquate et digne de ces personnes et permettre aux organisations humanitaires d’intervenir ;
• Exhortent les autorités tunisiennes de prendre les décisions politiques qui s’imposent en urgence afin d’établir un mécanisme et un circuit clair pour la prise en charge des personnes étrangères débarquées en mer et afin de garantir un traitement humanitaire conforme aux engagements de la Tunisie en la matière.

Organisations signataires :

Forum Tunisien des droits sociaux économiques (FTDES)

Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme LTDH
Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT)
Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD)
Beity
Avocats sans frontières (ASF)
Aswat Nissa
L’Association Intersection pour les droits et les Libertés
Organisation Mondiale contre la torture (OMCT)
Association Lina Ben Mhenni DAMJ- Association tunisienne pour la justice et la légalité
ASSOCIATION DES IVOIRIENS ACTIFS EN TUNISIE-ASSIVAT
Association MADA pour la citoyenneté et le développement
ADDCI ZARZIS
EuroMed Rights
Minority Rights Group International
L’association 3A2M
L’association Maldusa
L’association Patrimoine pour l’Économie Solidaire (Ftartchi)
Legal Agenda – Tunis
Al bawsla
L’association Kalam
Psychologues Du Monde – Tunisie
L’association Ifriqiya
Afrique Intelligence

International Alert

Comité pour le respect des libertés et des droits de l’Homme en Tunisie (CRLDHT)

Fédération des Tunisiens pour une citoyenneté des deux rives (FTCR)

Association Tunisienne pour les droits et les libertés ADL