Pollution par les déchets solides :
La souffrance des gouvernorats du Sahel
Par: Mohamed Gaaloul: Coordinateur regional Justice environnementale à Ksibet el Mediouni FTDES
La gestion des déchets solides est un enjeu régulièrement soulevé par des mobilisations citoyennes en Tunisie. Au Sahel, la situation très préoccupante des décharges anarchiques révèlent les nombreuses problématiques qui traversent le secteur des déchets, et qui impactent fortement les populations et leur environnement.
La décharge El Gazzah, située sur la route Monastir-Ouerdanine derrière l’aéroport Habib Bourguiba, dans la zone touristique Skanes, est exploitée par une société tuniso-italienne nommée ECOTTI et contrôlée par l’ANGED. Elle reçoit les déchets de trente et une municipalités du gouvernorat de Monastir : certaines d’entre elles amenènent directement leurs déchets vers cette décharge, tandis que d’autres les apportent d’abord aux centres de collecte des déchets situés à Ksar Hellal, Manzel Elhayett, Zeramdine, Moknine, Teboulba et Manzel Fersi avant de que les déchets ne soient transférés vers la décharge anarchique d’El Gazzah. La décharge reçoit chaque jour près de 700 tonnes de déchets, ce qui représente 80% des déchets produits dans le gouvernorat, production estimée à 1000 tonnes. La défaillance de la collecte des déchets est dû au manque de moyens techniques des différentes municipalités, ce qui explique les quantités importantes de déchets qui restent dans les rues des différentes villes du gouvernorat. D’après l’ANGED, avant de procéder à l’enfouissement des déchets, la société ECOTTI les traite au moyen d’un produit qui élimine les bactéries et réduit les mauvaises odeurs. Pourtant, lors de notre visite, deux pelles mécaniques (Trax) procédaient à l’enfouissement des déchets non traitées, y compris des déchets organiques, industriels, hôteliers, médicaux, déchets considérés dangereux pour la plupart.
Photos de la décharge d’El Gazzah, dans le gouvernorat de Monastir, avril 2018.
En plus des effets environnementaux catastrophiques, les décharges sont des environnements de travail dangereux et précaires. Les berbechas,[1] qui parcourent les décharges à la recherche de plastiques et autres matériaux, inhalent des matières toxiques et nauséabondes qui mettent en danger leur santé. Des berbechas rencontrés sur le terrain ont témoigné des problèmes de santé qui les affligent et des accidents de travail induits par des objets coupants et des seringues souillées. Les histoires se répètent sans que des solutions soient mises en place pour soutenir ces personnes, qui travaillent pour un maigre revenu sans contrat et donc sans couverture sociale.
La décharge contrôlée de Manzel Harb, propriété de l’ANGED située dans le gouvernorat de Monastir, a fermé ses portes en 2013 après que des citoyens aient manifestés leur mécontentement face aux odeurs dégagées par la décharge et ses impacts sur la qualité de vie des habitants du quartier. Il semble que cette victoire n’est que passagère, puisque faute d’autres alternatives, les agents de l’ANGED songent à rouvrir la décharge. Pourtant, cette prétendue solution crée du même souffle un problème de taille pour les citoyens du secteur. L’ANGED cite en exemple la déchetterie Oued Laya de Sousse et son futur projet de traitement des déchets pour fournir du gaz naturel et de l’énergie nucléaire. Pourtant ce site est une catastrophe environnementale, car il nuit à l’agriculture en polluant la nappe phréatique de la région.
Même son de cloche au dépotoir de Mahdia, où de grandes usines de lait et de thon rejettent leurs déchets. Notre visite nous a permis de constater les conditions catastrophiques, dans lesquelles travaillent d’ailleurs des enfants à la collecte de bouteilles en plastique.
La décharge anarchique de Rejiche est aussi source de nombreux problèmes environnementaux. Les citoyens qui habitent à proximité ne peuvent même pas ouvrir leurs fenêtres à cause de la fumée noire dégagée par les déchets brûlés. Les berbechas qui y travaillent, comme un couple rencontré lors de notre visite, sont victimes de nombreuses maladies liées aux conditions sanitaires exécrables. La femme souffre d’asthme, et son mari est atteint d’une infection à l’œil, tous deux à cause de leur travail à la décharge.
Photos de la décharge anarchique de Rejiche, avril 2018.
Dans le premier chapitre de la Disposition Générale du Décret N°2008-2745 (28 juillet 2008), fixant les conditions et modalités de gestion des déchets et des activités sanitaires, il est dit que « le présent décret fixe les conditions et modalités de gestion de déchet des activités sanitaires, de manière à assurer leur traitement et leur élimination sans porter atteinte à la sante publique et a l’environnement ». Mais lors de notre visite aux décharges de Mahdia et Monastir, nous avons pu constater une absence flagrante de traitement des déchets ainsi qu’un taux de contrôle très faible, voire inexistant.
Concernant la santé, nous avons pu remarquer qu’il y a plusieurs maladies qui touchent les régions qui accueillent des décharges. Avant la fermeture de la décharge de Mazel Harb, par exemple, les citoyens développaient beaucoup de maladies cancérigènes et de difficultés respiratoires. Ce phénomène se remarque aussi dans le cas de la décharge de Rejiche, où de nombreuses personnes souffrent de problèmes de ce genre.
En matière d’environnement, nous constatons que plusieurs décharges ont des effets négatifs sur la nappe phréatique ainsi que sur la pollution atmosphérique. Nous considérons qu’il s’agit d’un crime contre l’environnement, puisque la population est contrainte à respirer de l’air et boire de l’eau pollués. Il s’agit d’une atteinte directe à leur droit à la vie.
La situation environnementale s’est fortement détériorée dans ces régions, entrainant des conséquences négatives sur la qualité de vie des citoyens.
Nous pouvons également constater, à l’article 17 de la Disposition Générale, une prescription concernant le transport des « déchets d’activités sanitaire dangereux [qui] sont transportés vers les unités de traitement ou d’élimination conformément à la législation et la réglementation en vigueur relative au transport par route de manière dangereuse ». Notre visite à la décharge El Gazzah de Monastir met cependant en lumière la présence de nombreux déchets hospitaliers. Un des berbechas qui y travaillent a d’ailleurs été blessé au contact d’une seringue, alors qu’il procédait à la collecte du plastique dans cette même décharge.
Plusieurs citoyens se mobilisent toujours contre l’implantation de décharges dans leurs communautés, notamment à Rejiche, El Gazzah, Sahline, Sousse ou encore à l’aéroport Habib Bourguiba de Monastir. À défaut de réclamer une qualité de vie supérieure, libre de maladies et d’odeurs encombrantes, ils demandent minimalement de pouvoir continuer à travailler sur des terres agricoles fertiles, pas trop affectées par la pollution causée par les décharges.
[1]Translittération du nom arabe tunisien pour désigner les personnes travaillant à la récolte du plastique dans la rue et dans les décharges, afin de le revendre par la suite à des industries de recyclage du plastique.