Migration: Appel à positionnement des partis politiques et des candidats aux législatives
Un Partenariat de Mobilité avec l’Union Européenne et des accords bilatéraux déséquilibrés
Le Partenariat Pour la Mobilité conclu entre la Tunisie et l’Union Européenne (UE) en 2014 tend à inverser l’ordre des priorités aux dépens des normes internationales garantissant la liberté de circulation des personnes. Bien que non contraignant, ce Partenariat renforce l’asymétrie de l’accès aux droits, les inégalités de mobilité, et ne répond pas à l’aspiration légitime des citoyens du sud à une réciprocité de traitement entre les deux rives. Ce Partenariat confirme une stratégie de double standard des droits et de transfert de responsabilité de l’UE et de ses Etats membres vis-à-vis des personnes migrantes qui arrivent sur leur territoire de manière non réglementaire vers les pays du Maghreb. La facilitation des visas proposée par l’UE en contrepartie de l’acceptation d’accords de réadmission n’apporte pas d’avancées significatives à la situation actuelle et contribue à écrémer les élites pour lesquelles la Tunisie a lourdement investi. En effet, cette facilitation est sélective et ignore de larges franges de la jeunesse non moins entreprenantes en quête d’opportunités et d’échanges.
L’accord de réadmission proposé voudrait imposer à la Tunisie, outre la réadmission de ses propres ressortissants, celle des ressortissants des pays tiers ayant a priori transité par son territoire selon des procédures et des conditions qui peuvent porter atteinte au principe même de souveraineté du pays. En outre, le droit des personnes migrantes ne serait pas garanti puisque la Tunisie n’a toujours pas ratifié la convention de protection des droits des travailleurs migrants et ne dispose toujours pas de loi d’asile.
Les accords de réadmission et de facilitation des visas négociés dans le cadre de ce Partenariat s’inscrivent dans une approche de conditionnalité les liant au partenariat économique pour le soutien au développement. A cet effet, ils participent donc d’un même mécanisme dont l’objectif est à sens unique : mieux contrôler et externaliser les frontières de l’UE dans une démarche sécuritaire. Il semble nécessaire pour la Tunisie de repenser les conditions et les objectifs qui sous-tendent ce Partenariat et les accords bilatéraux qu’elle négocie notamment avec l’Italie pour élaborer une politique migratoire plus juste et équilibrée en termes de mobilité. Enfin, le fait d’émigrer ne doit plus être considéré comme un crime mais comme un droit fondamental, droit par ailleurs inhérent à un espace méditerranéen commun et solidaire dans la réalisation des conditions de sa sécurité et de son développement.
La question des disparus en mer et des naufrages toujours en suspend
Malgré l’ouverture d’une Commission d’enquête sur les Tunisiens disparus en mer depuis une dizaine d’années, aucune procédure systématique et harmonisée permettant aux familles des disparus d’accéder à une information sure de ce qui est advenu à leurs proches n’a été élaborée. De nombreuses familles tunisiennes demeurent toujours dans l’attente d’information tandis que les tentatives de traversées non réglementaires vers l’Italie, les interceptions et les naufrages continuent d’en affecter toujours davantage. Ce phénomène est continu et particulièrement influent au sein de la jeunesse tunisienne, première catégorie à souffrir du chômage et du manque de perspectives d’insertion économique et sociale. Durant le seul weekend du premier tour des élections présidentielles, 10 tentatives de traversée non réglementaire ont été interceptées au large des côtes tunisiennes et plusieurs naufrages ont entrainé la mort de 6 personnes et la disparition de 8 autres.
En outre, la Tunisie, et notamment le sud du pays, subit de plein fouet les conséquences directes de la prolongation et de l’intensification de la guerre en Libye via, entre autres, l’afflux de personnes migrantes par la mer. De plus en plus de corps de migrants perdant la vie dans des naufrages de tentatives de traversées en provenance de la Libye échouent sur les côtes tunisiennes, notamment à Zarzis, dans un phénomène particulièrement alarmant qui illustre le coût humain des politiques sécuritaires européennes.
En l’absence d’un cadre légal et des mécanismes d’accueil des migrants en Tunisie ces corps échoués sont toujours enterrés par des bénévoles ou des agents municipaux qui manquent de moyens matériels et d’expertise en matière d’identification des corps. Cette situation impose actuellement un plan d’urgence permettant d’accueillir et de gérer au mieux les arrivées de personnes migrantes en cas d’aggravation du conflit libyen.
La Tunisie dans l’attente d’un débat et d’un dispositif législatif sur la migration
L’absence de cadre légal sur la migration en Tunisie entraine une persistance des violations des droits humains des personnes migrantes, demandeurs d’asile ou réfugiés sur le territoire tunisien, en particulier les groupes les plus vulnérables. En effet, la Tunisie souffre actuellement d’un manque cruel de centres d’accueil et de foyers d’hébergement sur l’ensemble de son territoire. Au vu de la surpopulation et des mauvaises conditions d’accueil que cela engendre dans certains foyers gérés par l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM), le Haut Commissariat pour les Réfugiés des Nations Unies (HCR) et leurs partenaires, le gouvernement tunisien doit être en mesure de proposer des solutions d’urgence et de long terme conformes à ses engagements légaux et constitutionnels.
En outre, malgré l’adoption de la loi relative à la prévention et à la lutte contre la traite des personnes en août 2016 et la loi contre les discriminations raciales en octobre 2018, la traite des personnes, l’exploitation et les discriminations persistent et ces phénomènes commencent à être mieux cernés. A cet effet, et dans le but d’accompagner l’application de ces lois, il apparait nécessaire d’entamer une révision du cadre juridique relatif à la migration afin qu’il soit non seulement en accord avec l’esprit de la Constitution qui garantit les droits et les libertés de chacun, mais aussi compatible avec les obligations internationales de la Tunisie.
L’absence d’une politique migratoire claire de la part du gouvernement tunisien participe, entre autres, à la perpétuation d’un certain nombre de violations des droits humains largement insoutenables pour les personnes migrantes qui en sont victimes. La situation devenue inextricable des anciens réfugiés du camp de Choucha abandonnés successivement par l’ensemble des acteurs étatiques, humanitaires et onusiens en est l’exemple le plus flagrant. Au vu du contexte migratoire actuel et de l’afflux continu de personnes migrantes par voies terrestres ou maritimes, l’adoption d’une politique migratoire intégrée qui préserve les droits humains des personnes migrantes et met en garde contre toutes formes de violations est plus que jamais une urgence pour la Tunisie bien que malheureusement régulièrement ajournée.
Recommandations du Forum Tunisien pour les Droits Economiques et Sociaux en matière d’accueil des personnes migrantes ou marginalisées en Tunisie :
- La ratification et la mise en œuvre de la Convention de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) n° 189 sur les travailleuses et travailleurs domestiques (2011); des Conventions de l’OIT n° 97 et n° 143 sur les travailleurs migrants et de la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille de (1990)
- Le respect du principe de non-refoulement
- L’arrêt complet des accords bilatéraux conclus avec les autorités italiennes en ce qui concerne le rapatriement massif qui se déroule depuis plusieurs années sans aucun respect des conventions internationales (la Convention des Nations Unies de 1951 et son Protocole de régulation de 1967 relatifs au statut des réfugiés ainsi que l’article 33 qui souligne la nécessité de respecter des conditions prédéterminées pour accomplir l’opération de rapatriement)
- L’adoption d’un cadre légal relatif à la migration notamment en matière d’accueil des migrants
- La révision et l’assouplissement de la Loi de février 2004 (modifiant et complétant la loi n° 75-40 du 14 mai 1975) relative aux passeports et aux documents de voyage dans le but de décriminaliser le fait d’émigrer
- La révision et l’assouplissement de la Loi de mars 1968, relative à la condition des étrangers en Tunisie pour permettre à certaines catégories d’étrangers comme les étudiants d’obtenir plus facilement leurs cartes de séjour et de ne pas avoir à payer des pénalités
- Réactiver la Commission d’enquête sur les disparus en mer pour répondre à la requête des familles tunisiennes endeuillées
- Mettre en place un dispositif permanent et systématique pour permettre l’identification des tunisiens disparus en mer et des étrangers naufragés échoués au large des côtes tunisiennes
- Fournir les moyens aux autorités locales et aux organisations humanitaires, notamment au sud du pays, pour accueillir les personnes migrantes et gérer des situations de crise dans de meilleures conditions.
- Mobiliser les ressources nécessaires à la mise en œuvre des engagements légaux de l’état pour la protection et la prise en charge des victimes de la traite.