Mejel Bel Abbès : journée de commémoration en souvenir de Montasser, petit garçon décédé d’une maladie liée à l’eau il y a un an.
Par: Zoé Vernin
Les élèves du lycée de Mejel Bel Abbès à l’occasion de leur bac sport, ont rendu un hommage à Montasser au matin du mardi 24 avril 2018
Il y a un an, la ville de Mejel Bel Abbès avait entamé une grève générale le 24 avril 2017 au lendemain de la mort de Montasser, un écolier décédé de l’épidémie d’hépatite A qui s’était propagée dans la région. Il y a un an, le FTDES et l’Observatoire Tunisien sur l’eau avait alors mené avec les activistes de Mejel Bel Abbès, une enquête sur la responsabilité des différentes autorités dans la crise liée à l’épidémie d’hépatite A, une crise principalement liée à l’absence d’eau potable (dù aux coupures, ou aux contaminations bactériologiques) et qui avait révélé certaines problématiques cruciales : le manque d’information sur la situation sanitaire (voire des tentatives avérés de désinformation) et la faible prise en charge médicale (dépistage, vaccination, etc.) ; l’impuissance des écoles ; l’absence de mesure spécifique sur les problèmes de l’eau dans un tel contexte dù notamment à un manque de coordination entre les différents services publics et autorités régionales/locales (et qui s’explique aussi par une relative absence de responsabilité) ; ainsi que de manière générale, l’insuffisance des moyens et des infrastructures propre à une région marginalisée.
Nous y sommes ainsi retournés un an après pour rejoindre la mobilisation en la mémoire de Montasser. Du lycée à l’école, les habitants ont ainsi fait savoir que la ville n’oublie pas cette tragédie.
Au lycée, « C’est ainsi que l’enfance est assassinée, et que le pays se perd »
Précédant l’ouverture du Bac Sport au lycée de Mejel Bel Abbès mardi 24 mai au matin, les élèves déploient plusieurs banderoles après l’hymne national, en ouverture de «la Dakhla ».
Vidéo youtube :
Le visage de Montasser apparait. Sur la grande affiche qui part du toit du lycée est écrit « Koulna Montasser, comme l’avait crié il y a un an les habitants en deuil. Le message inscrit rappelle aussi « l’incapacité du gouvernement » et que « l’innocence est en danger ».
A coté de Montasser d’ailleurs, les lycéens rendent aussi hommage à d’autres enfants, Omar et Ahed. A la sortie d’un match, Omar est un jeune tunisien de 19 ans, qui s’est fait poursuivre par des policiers qui l’ont poussé à sauter dans un oued alors qu’Omar leur avait crié qu’il ne savait pas nager. Il est mort noyé, le 1er avril dernier. Ahed, est une jeune palestinienne de 17 ans qui à la suite d’une manifestation contre la décision américaine de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël, a été arrêtée et enfermée par les autorités israéliennes le 19 décembre 2017. Elle est toujours en prison.
Dans la rue, « Dégagez, Dégagez, Dégagez, les monstres ! L’hépatite nous a tués Et vous, vous n’avez pas compris ! »
Ce slogan a lui aussi été repris de la marche effectué « le jour de la colère » l’année dernière. Du lycée à l’école de Montasser, les manifestants traversent la ville et rappellent leurs revendications.
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« Montasser, repose en paix, nous continuons notre lutte » ont-ils ainsi scandé. En effet, comme l’explique un des représentants du mouvement, membre également de la coordination des mouvements sociaux, « nous allons dans son école pour être aux côtés de ses camarades en cette triste journée, porter la campagne de sensibilisation, et ne pas faire oublier les revendications des habitants de Mejel Bel Abbès. Nous voulons les droits développement des habitants, et en particulier le droit à la santé, le droit à l’assainissement et à l’éducation pour l’avenir de nos enfants. »
A l’école El Abbassia « L’eau est la cause principale du dilemme, et la base du remède »
Nous arrivons devant l’école el Abbassia où les élèves vont bientôt sortir des classes pour la récréation. Omar, le directeur de l’école que nous avions rencontré l’année dernière, nous autorise à rencontrer les écoliers et à distribuer ce que nous avons préparé en coordination avec plusieurs associations.
En effet, à la suite des conclusions de notre enquête à Mejel Bel Abbès, des recommandations du Forum pour une justice environnementale 2017, et aussi d’observations dans la presse des mesures arrachées par les parents, habitants ou cadres éducatifs d’autres régions pendant les épidémies hépatite A, élaborer un guide est apparu nécessaire.
Le FTDES, l’Observatoire Tunisien sur l’eau, l’Association tunisienne de défense du droit à la santé, l’Association maghrébine de sécurité sanitaire des aliments, et l’association ont ainsi voulu élaborer un dépliant visant à donner des informations utiles pour savoir quoi faire pour prévenir ou réagir à une épidémie, et notamment pour connaître les mesures que l’on peut revendiquer aux différentes autorités.
Lien pdf du guide.
Au moment de la préparation de ce guide, l’équipe de travail a d’ailleurs décidé de réaliser aussi des affiches de sensibilisation à destination des écoles et de leurs élèves pour donner quelques conseils de prévention, expliquer les causes et les symptômes de la maladie. En effet, bien que le ministère de l’éducation encourage les cadres pédagogiques à sensibiliser les écoliers, les diverses associations impliquées déplorent que beaucoup écoles soient démunies de tout matériel pédagogique pour le faire.
Lien pdf de l’affiche
Enfin, la somme qui avait été collectée par le FTDES l’année dernière pour subvenir aux besoins de l’école de Montasser, a été remise au directeur qui prévoit d’améliorer les conditions sanitaires des blocs sanitaires et de la cantine de l’école.
A l’avenir, nous comptons ainsi diffuser très largement ce guide dans les régions pour informer les populations sur leurs droits, en particulier pendant une épidémie d’hépatite A, et de manière générale en matière de santé, d’eau et d’assainissement, et d’accès à l’information.
Rappelons-le, l’hépatite A est considéré depuis deux ans, comme « une épidémie continuelle » en Tunisie par le ministère de la santé. D’ailleurs les données de l’Observatoire Social Tunisien (OST du FTDES) en ce début 2018, témoignent d’une détresse grandissante relative directement à des épidémies d’hépatite A, ou plus largement liée aux conditions sanitaires et hydriques des écoles. Rien qu’au mois d’avril 2018, nous comptons huit mobilisations, en majorité située à Kairouan, relatives à ces problématiques.
Parmi ces mobilisations, il y a eut notamment la grève des cadres éducatifs de toutes les écoles primaires de la délégation de Mazouna à Sidi Bouzid après le décès d’une élève atteinte par l’hépatite A, qui nous rappelle tragiquement que cette maladie liée à l’eau continue de tuer…