Le groupe chimique à Mdhilla : La décision de justice effacera-t-elle la violation de la loi ?
Par Rihab Mabrouki et Rabah Ben Othmane, section FTDES du Bassin Minier
Dans la délégation minière de Mdhilla, le calme qui plane sur la ville cache les souffrances de ses habitants. Non loin des cités résidentielles, une usine de l’industrie chimique est installée depuis des décennies sans les licences nécessaires, dont en particulier l’octroi d’une licence à une institution de première classe dans le domaine de la sécurité et de l’environnement. Cette situation illégale nécessite une intervention urgente des structures de l’État en raison des dommages environnementaux et sanitaires que cette activité non autorisée a causé aux habitants de la région.
L’engagement légal de l’usine
L’unité du Groupe Chimique Tunisien à Mdhilla est classé dans la catégorie des institutions dangereuses et dérangeantes définies par l’article 293 du Code du travail. Ces institutions se caractérisent par la création d’une menace ou d’une nuisance à la sécurité, à la santé et au confort du voisinage, à la sécurité et à la santé de leurs utilisateurs, à la santé publique, ou à l’agriculture. L’ouverture et l’exploitation de ce type d’établissement sont soumises à l’obtention préalable d’une autorisation auprès du ministre en charge des établissements classés afin de fixer des mesures préventives, notamment celles liées à l’étude des risques afin de préserver la santé et la sécurité de l’environnement. Dans ce cadre, la Tunisie a établi une politique législative complète pour définir les relations de ce type d’institution avec l’environnement et la santé humaine, de sorte que de nombreuses lois et ordonnances ont été publiées, affirmant la nécessité de protéger les droits environnementaux et sanitaires des individus.
Le plus important et le plus clair d’entre eux est l’arrêté gouvernemental numéro 417 de 2018 relatif à la délivrance de la liste exclusive des activités économiques soumises à licence et de la liste des licences administratives pour mener à bien un projet. Dans ce contexte, la licence a été définie comme « l’approbation préalable accordée par l’autorité administrative à son demandeur si elle remplit les conditions requises, soit pour l’exercice d’une activité économique, soit pour l’achèvement d’un projet ». La loi n° 34 de 2007, relative à la qualité de l’air, vise quant à elle à prévenir et réduire la pollution de l’air et ses effets négatifs sur la santé humaine et l’environnement, ainsi qu’à définir les procédures nécessaires pour surveiller la qualité de l’air afin d’incarner le droit du citoyen à un environnement sain. Cependant, la population de Mdhilla continue de subir les coûts environnementaux et sanitaires du fait de la poursuite de l’activité de l’usine sans les licences requises. La prévalence des maladies respiratoires, des insuffisances rénales et d’ostéoporose est extrêmement élevée, ces maladies se retrouvant chez une grande partie de la population, et le nombre important de décès prématurés se poursuit. Malgré la promulgation de ces lois et leur clarté, le Groupe Chimique continue de violer les droits et d’empiéter sur les règles législatives à la vue de toutes les autorités régionales et nationales, qui semblent atteintes de surdité et de mutisme sur cette question.
Recours à la justice pour arrêter les violations
Pour mettre fin aux violations règlementaires et des droits environnementaux et sanitaires, le conseil municipal de Mdhilla a déposé en janvier 2020 une plainte auprès du tribunal de première instance de Gafsa pour exiger, selon son président M. Hafedh Elhenchiri, la fermeture du groupe chimique jusqu’à ce qu’il obtienne les licences légales et l’affectation d’experts dans le domaine de l’eau, de l’air et du sol pour évaluer les risques environnementaux dans la région.
Cette initiative judiciaire a rencontré un grand soutien d’organisations de la société civile telles que le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES)-section Redeyef, membre principal de la coalition pour l’environnement de Gafsa, qui a fait une visite de soutien au Conseil municipal de Mdhilla le 13 Février 2020, accompagné par des militants de la région et des représentants de quelques associations.
Le FTDES et la coalition régionale pour l’environnement de Gafsa ont chacun publié un communiqué le 30 janvier 2020 pour appeler à ouvrir enquête indépendante qui précise les responsabilités personnes responsables de l’ouverture de l’usine sans avoir pris en considération les risques environnementaux et sanitaires, et à indemniser la région pour les dommages matériels et moraux causés par cette enfreinte à la loi, y compris à travers l’aménagement complet de la ville et la création des projets verts qui respectent l’environnement et qui créent des emplois réels. Il proposait également d’initier une coordination entre toutes les parties pour mettre fin à cette violation manifeste des droits environnementaux dans la région, et pour forcer l’usine à respecter les normes internationales et nationales applicables.
Communiqués de soutien de la coalition régionale de Gafsa et du FTDES publiés le 30/01/2020
De son côté, l’association Cartographie Citoyenne a déposé une demande d’accès à l’information au groupe chimique afin de savoir quelles usines du Groupe fonctionnent sans l’obtention des autorisations légales La réponse à cette demande a prouvé que l’entité de l’usine Mdhilla1 n’a jamais détenu de permis pour exercer ses activités depuis sa création en 1984.
Les responsables de la région ignorent la situation
Dans leur réponse officielle, les autorités représentant le Groupe Chimique Tunisien ont minimisé l’ampleur de cette violation apparente aux droits de l’homme et prétendu que l’entreprise prend toutes les précautions possibles pour la protection de l’environnement. D’autre part, aucune réponse n’a été donnée aux courriers envoyés par le conseil municipal au gouverneur de Gafsa. Cette catastrophe environnementale semble ne pas le concerner alors que ses impacts menacent l’avenir de toute la région. Dans une deuxième correspondance, envoyée au conseil municipal, l’usine reconnait ne pas posséder les licences requises par le décret n ° 2687 de 2006 concernant les procédures d’ouverture et d’exploitation des entreprises classées au premier rang, Toutefois, la situation n’a pas changé puisque l’usine poursuit son activité libérant ses toxines dans les quartiers résidentiels sans respect de la loi, ni du cadre législatif.
Le FTDES considère que la question environnementale n’est pas un luxe et considère que le développement basé sur l’industrie polluante est à mettre en balance avec ses coûts environnementaux et sanitaires très importants et irrémédiables, qui prive jusqu’au droit à la vie.
La reconnaissance de la souffrance de la ville de Mdhilla et de toute la région à cause de la pollution doit mener, dans une première étape, à une obligation de l’Etat à arrêter cette hémorragie. Dans une seconde étape, l’indemnisation de la région pour tous les dommages subis depuis des dizaines d’années doit être décidée, à travers une stratégie d’aménagement de l’espace permettant une vie humaine digne, notamment après la décision d’installer une deuxième unité du groupe dans la région, ce qui aggravera la situation environnementale et sanitaire.
Mais au vu de l’attitude des autorités, et malgré les nombreuses promesses formulées au fil des années, les probabilités de voir ces demandes réalisées nous semblent très faibles.
Voilà pourquoi le FTDES appelle tous les acteurs locaux conscients de la gravité de la situation à refuser l’installation des projets pollueurs dans la région et insiste sur le fait que le pourcentage élevé de chômage et le retard de développement caractéristiques de la région ne doivent pas justifier le recours à l’industrie polluante qui a détruit l’environnement et le droit de vivre dans un environnement sain.
Ainsi, en suivant et reportant cette violation flagrante des droits de l’homme, de l’environnement et de la santé, dans la délégation de Mdhilla et des régions avoisinantes, le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux continue de soutenir sans réserve la position du Conseil municipal. Il confirme également son soutien dans les prochains jours au Conseil municipal de Mdhilla pour un procès contre les violations environnementales commises par le Groupe Chimique et appelle, dans ce cadre, les autorités judiciaires à faire respecter la suprématie de la loi et des droits fondamentaux, en particulier l’article 45 de la constitution, qui garantit le droit de vivre dans un environnement sain.