Les habitants de Faj Rouissat, gouvernorat de Kairouan, n’ont pas choisi arbitrairement la date du 14 janvier pour leur marche contre la dégradation de la situation environnementale et sociale dans leur région. Leur soulèvement contre l’usine SOTACIB intervient suite aux impacts de ses activités sur les êtres humains, les animaux, les plantes et les maisons. Ce choix n’était donc pas anodin, car il symbolise la poursuite de lutte déclenchée par la révolution du 17 décembre 2010 au 14 janvier 2011 pour l’emploi, la liberté et la dignité.
Si dans d’autres régions, cette date était l’occasion de célébration et de festivité, ce n’était pas le cas à Faj Rouissat puisque les habitants ont saisi cette occasion pour manifester et dénoncer les violations commises par la cimenterie SOTACIB sur leur environnement ainsi que le laxisme des responsables régionaux et nationaux dans le traitement de leurs mouvements et demandes légitimes.
Les habitants de Faj Rouissat vivent à la fois l’absence du droit à un environnement sain avec ses répercussions sur leur santé, leurs moyens de subsistance, les problèmes d’accès à l’eau potable ; l’absence de développement et d’emploi ; et subissent des dégradations et fissures dans leurs maisons. En quelques mots, un des habitants a bien décrit ce tableau : « nous sommes les citoyens morts ». Il évoque ainsi ceux qui ont été obligés de rester sur place et de ne pas quitter leurs maisons, bien qu’elles risquent de s’effondrer. Leurs conditions sociales ne leur ont pas laissé d’autres choix que de rester, alors que d’autres ont choisi de partir.
Après l’installation de la cimenterie SOTACIB en 2008, à côté des habitations et des champs agricoles et quelques années après son début d’activité, les impacts ont commencé à apparaitre et ont pris de l’ampleur ; les manifestations des habitants ont également pris un rythme croissant en fonction des dégâts causés. Ces dégâts se manifestent par l’émissions de gaz toxiques qui polluent l’environnement alentour, menacent la santé des habitants et les productions agricoles notamment les oliviers. Ceci est d’autant plus grave que l’usine utilise du coke pétrolier dont les effets néfastes sur l’environnement et la santé humaines sont largement connus.
La situation perdure ainsi jusqu’à aujourd’hui, malgré les mouvements organisés par les habitants, la médiatisation de leur cause ainsi que l’appui apporté par la société civile de Kairouan, et en particulier celle du Forum Tunisien pour les Droits Economiques et Sociaux, qui a fait état de cette situation et a commencé à appuyer les revendications des habitants dès 2013 :
Le Forum était également présent lors des réunions de négociations qui ont eu lieu au gouvernorat de Kairouan à ce sujet et qui ont débouché sur un accord, qui n’a pas été respecté ni par la direction de l’usine, ni par les autorités régionales et les services concernés par les affaires environnementales, sanitaires et sociales. Ainsi, les manifestations ont repris de plus belle et ont pris des dimensions plus grandes, vu la colère grandissante des habitants face à l’aggravation de la situation et la négligence des autorités, couplées au non-respect de l’usine de ses engagements. Les demandes des habitants étaient essentiellement de :
- • Mandater des experts compétents et neutres pour diagnostiquer la situation et évaluer les dégâts causés par l’usine, ainsi que les éventuels dédommagements pour les habitants ;
- • Considérer les jeunes de Faj Rouissat comme prioritaires lors de recrutements et la contribution au développement de la région.
Ces promesses n’ont pas été tenues et l’usine a continué ses atteintes à l’environnement et à la vie des habitants.
Nous rappelons que le droit à un environnement sain et équilibré ainsi qu’à l’eau potable, la santé, un travail décent et toutes les composantes du développement durable, sont des droits constitutionnels et faisant partie de l’ensemble des accords et protocoles internationaux de droits de l’homme que la Tunisie a signé. Aussi, ces droits sont une condition indispensable à une vie décente et pour garantir la paix sociale. Il n’est pas possible de passer outre un de ces droits puisqu’ils doivent être pris en considération dans leur totalité lors de soutien aux luttes environnementales, pour arrêter les violations commises et garantir les droits des générations actuelles et futures.
La situation environnementale actuelle est le résultat d’un modèle de développement qui ne tient pas compte de la santé humaine, ne respecte pas l’environnement et surexploite les ressources naturelles. En effet, le droit de vivre dans un environnement sain est une responsabilité partagée entre les différents acteurs concernés par la question environnementale, d’où la nécessité de rassembler tous les efforts et les compétences afin de garantir la transparence dans les pratiques, de faciliter l’accès à l’information, et de s’ouvrir sur toutes les propositions visant à protéger l’environnement.
Ainsi, le Forum Tunisien pour les Droits Economiques et Sociaux était sur place le 14 janvier 2020 à l’occasion du dernier mouvement organisé par les habitants de Faj Rouissat. Il a récupéré des témoignages et noté les principales demandes des revendications :
- • L’intervention de toutes les autorités régionales et locales pour arrêter l’utilisation du coke pétrolier qui a affecté considérablement la santé des habitants, l’activité agricole et causé des dégâts sur les maisons à cause d’explosifs ;
- • Le recrutement des jeunes de la région, notamment les diplômés du supérieur et leur intégration dans l’usine ;
- • La contribution de l’usine au développement de la région
- • La garantie du droit des habitants de vivre dans un environnement sain.
Enfin, le Forum insiste sur l’impératif de protection de la santé des habitants de Rouissat, de leurs vies et de leurs moyens de subsistance. Des réponses doivent être apportées à ces priorités, à travers le respect et la mise en pratique des lois et par la définition des responsabilités de chacun, pour limiter les violations et assurer un équilibre entre la création de richesse et le respect des droits des citoyens.
Notre vidéo-reportage :
https://youtu.be/oML1m1XHBe0
Projet Justice Environnementale-Section Kairouan
Rédaction : Hayat Attar
Photos et montage de vidéos : Minyara Mejbri