Déclaration conjointe : 16 organisations de la société civile tunisiennes et internationales demandent la libération immédiate d’Issam Bouguerra.
Le réalisateur tunisien Issam Bouguerra, emprisonné depuis le 24 août 2021, a été condamné à 15 mois de prison le 24 novembre 2022 pour des accusations de consommation et détention de cannabis, qui n’auraient jamais dues être érigées en infraction. En raison d’un appel formé par le procureur, il a cependant été maintenu en détention alors qu’il avait déjà passé plus que la durée de sa sentence en prison.
Le réalisateur tunisien Issam Bouguerra, emprisonné depuis le 24 août 2021, a été condamné à 15 mois de prison le 24 novembre 2022 pour des accusations de consommation et détention de cannabis, qui n’auraient jamais dues être érigées en infraction. En raison d’un appel formé par le procureur, il a cependant été maintenu en détention alors qu’il avait déjà passé plus que la durée de sa sentence en prison.
Les organisations et personnes signataires appellent les autorités tunisiennes à le remettre immédiatement en liberté, sa détention étant arbitraire en raison de la nature des accusations portées contre lui et de son maintien en détention, malgré le temps déjà purgé en prison. Issam Bouguerra a en outre besoin de toute urgence d’une assistance médicale qui ne peut lui être fournie dans la prison où il est incarcéré. Enfin, nous demandons également aux autorités tunisiennes d’entreprendre une révision complète de toutes les lois et politiques relatives aux stupéfiants, notamment la Loi n° 92-52, afin de dépénaliser la consommation et la détention de stupéfiants pour un usage personnel et d’étendre la portée du système de santé et d’autres services sociaux afin de traiter les risques liés à la consommation de stupéfiants.
Le jour de son procès, le 24 novembre 2022, le tribunal de première instance d’Ariana, à Tunis, a condamné Issam Bouguerra à 15 mois d’emprisonnement. Compte tenu du temps qu’il avait déjà passé en détention provisoire, il aurait dû être libéré à la suite du jugement, car il avait déjà purgé sa peine. Néanmoins, le jour même, le procureur du tribunal de première instance de Tunis a fait appel de sa condamnation, pour demander apparemment une sanction plus sévère. L’audience devant la Cour d’appel de Tunis doit avoir lieu le 13 février 2023.
Au cours de sa détention, Issam Bouguerra s’est vu refuser l’accès aux soins de santé urgents et adaptés dont il avait besoin. Son père lui a rendu plusieurs fois visite à la prison de Mornaguia, où il était détenu. Il a déclaré à Amnesty International que son fils souffrait de saignements depuis plusieurs semaines. Compte tenu de l’historique de cancer du côlon dans la famille, auquel la mère d’Issam Bouguerra a notamment succombé, le médecin de la famille a recommandé des scanners tous les six mois. Pourtant, depuis son arrestation, les autorités pénitentiaires ne lui ont pas permis de bénéficier de ces examens médicaux, car les installations médicales de la prison ne disposent pas des équipements nécessaires, comme un scanner ou le matériel pour réaliser une coloscopie. Issam Bouguerra a demandé à voir un médecin compétent en dehors de la prison à plusieurs reprises depuis avril 2022, mais les autorités pénitentiaires ont ignoré ses demandes.
Le cas d’Issam Bouguerra est représentatif des souffrances qu’endurent des milliers de personnes privées de liberté en Tunisie pour leur seule consommation de stupéfiants. D’après un récent rapport publié par Avocats sans frontières, plus de 2 500 personnes étaient détenues pour des infractions liées aux stupéfiants en 2019, dont 60 % uniquement pour la consommation de tels produits. La surpopulation carcérale est un problème de longue date en Tunisie, les prisons excédant déjà leur capacité maximale, avec 22 000 détenus pour 18 000 places, une grande partie de ces personnes étant incarcérées pour des infractions liées aux stupéfiants. Des organisations de la société civile tunisiennes et internationales ont dénoncé le vaste éventail d’atteintes aux droits humains qu’entraînent les lois punitives en matière de stupéfiants, notamment des agressions physiques et verbales de la part de policiers. Bien que la Loi n° 92-52 ait été modifiée en 2017, principalement pour réduire la surpopulation carcérale, les atteintes aux droits humains qu’elle engendre restent nombreuses.
L’interdiction et l’incrimination de la possession et de la consommation de stupéfiants pour un usage personnel n’ont pas fait baisser l’utilisation et la disponibilité de ces produits. Par contre, elles constituent une menace directe pour la santé des personnes et engendrent un large éventail d’atteintes aux droits humains. Malgré des années de criminalisation, les taux de consommation de stupéfiants sont restés essentiellement stables dans le monde depuis que les gouvernements ont commencé à mettre en application l’interdiction des stupéfiants. Ainsi que l’a noté la rapporteuse spéciale sur le droit à la santé, « les personnes continuent invariablement de faire usage de stupéfiants, quelles que soient les lois pénales en la matière, même si les mesures de dissuasion de la consommation de stupéfiants sont considérées comme la principale justification pour imposer des sanctions pénales ». C’est pourquoi, dans une optique de protection de la santé publique et des droits humains, plusieurs mécanismes internationaux de protection des droits humains et organes des Nations unies ont recommandé aux pays de dépénaliser la consommation et la détention de stupéfiants pour un usage personnel.
Issam Bouguerra est un réalisateur tunisien de 39 ans, originaire de Kairouan. Après avoir fait des études de graphisme en Tunisie, il s’est rendu aux États-Unis pour suivre sa passion et étudier le cinéma à Los Angeles. Il a réalisé plusieurs séries télévisées pour des chaînes de télévision tunisiennes et algériennes. Il est surtout connu pour son court-métrage « Faracha » (« Papillon ») sur un jeune garçon de Kairouan, ville tunisienne pauvre et conservatrice, ayant décidé de poursuivre son rêve malgré la désapprobation de tous. « Faracha » a été acclamé par la critique et a remporté la Coupole d’or du meilleur court-métrage de fiction lors du festival Mon premier film à Paris, en 2022, alors qu’Issam Bouguerra était emprisonné.
Organisations signataires :
- Amnesty International
- Association des Jeunes Médecins
- Association Tunisienne de l’Action Culturelle (ACAT)
- Association Tunisienne de Défense des Droits de l’Enfant (ATDDE)
- Association Tunisienne de Défense des Libertés Individuelles (ADLI)
- Avocats Sans Frontières (ASF)
- Damj
- Fédération Internationale des Droits de l’Homme (FIDH)
- Forum Tunisien des Droits Economiques et Sociaux (FTDES)
- Intersection pour les Droits et les Libertés
- Legal Agenda
- Le Mouvement Citoyen des Tunisiens en France
- Mawjoudin
- Mémoire Commune pour la Liberté
- Organisation Mondiale Contre la Torture (OMCT)
- Psychologues du Monde- Tunisie
Personnes signataires :
- Abdejlil Bouguerra, coordinateur de la campagne Free Faracha
- Allagui Abdelkrim, activiste des droits humain et professeur d’université
- Asma Sabri
- Chokri Latif, président de l’Organisation contre la Torture en Tunisie
- Fatma Zahra
- Hedia Belhad, présidente du groupe Tawhida Ben Cheikh et médecin
- Monia Ben Jemiaa, professeur d’université
- Mokhtar Trifi, président honoraire de la Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme
- Nabila Hamza, conseille municipale et sociologue
- Oussema Helal
- Sana Ben Achour, président de l’Association Beity
- Selma Hajri, activiste des droits humains et médecin