Communiqué de presse à l’occasion de la journée nationale contre la torture et du deuxième anniversaire du lancement des travaux des chambres spécialisées dans la justice transitionnelle
Tunis le 8 mai 2020,
Comme chaque année, la Tunisie célèbre le 8 mai la journée nationale contre la torture. En effet, depuis la mort du militant, Nabil BARAKETI, sous la torture au commissariat de police de Gaafour (Siliana) le 8 mai 1987, la société civile a veillé à honorer, chaque 8 mai, la mémoire des victimes de la torture pour contribuer à la préservation de la mémoire et pour mettre un terme au fléau de la torture et de l’impunité. En 2014, cette date a été officiellement reconnue comme la journée nationale contre la torture.
La commémoration de cette journée coïncide avec l’écoulement de près de deux ans depuis le début des travaux des chambres criminelles spécialisés dans la justice transitionnelle Leur existence même témoigne d’une véritable avancée dans la lutte contre l’impunité des violations graves commises pendant les dernières décennies. Mais le processus est loin d’être achevé. Des centaines de victimes de torture attendent toujours de voir si leurs espoirs vont se concrétiser, si justice va enfin leur être rendue. Au-delà des victimes, la capacité des chambres spécialisées à mener à bien le processus de justice transitionnelle sera un vrai marqueur de la capacité de la Tunisie à s’engager sur la voie de l’établissement d’un État de droit et d’une transition démocratique.
Le processus de justice transitionnelle est en cours et il ne saurait échouer tant les enjeux sont de taille. Il est cependant sérieusement menacé par un manque de volonté politique et l’insuffisance des moyens humains et financiers alloués à la mise en œuvre de son mandat. Le bilan actuel est en demi-teinte : des procès ont certes débuté, mais leur bon déroulement est entravé par différents obstacles parmi lesquels l’absence quasi-généralisée des accusés et les appels des syndicats de police auprès des agents accusés à ne pas assister à leurs procès. Ce constat a conduit le Comité des droits de l’homme des Nations unies à adresser plusieurs recommandations à l’Etat tunisien dans ses Observations finales adoptées le 2 avril 2020 à la suite de l’examen de la Tunisie par le Comité, disponible sur ce lien.
Entre temps, le confinement sanitaire dû à la crise suscitée par le COVID-19 est venu interrompre temporairement des procès déjà marqués par de trop nombreux reports. Or, en ces temps de crise, la justice ne devrait pas être mise au second plan tant est crucial le rôle qu’elle a à jouer pour la préservation des droits et libertés fondamentaux, y compris les droits des victimes de torture d’obtenir justice pour les graves violations subies.
Ce 8 mai, cela fera 33 ans que la famille de Nabil Baraketi attend que justice lui soit rendue. Pour que nous n’ayons pas à commémorer cette impunité un an de plus, nos organisations invitent les autorités tunisiennes à mettre en œuvre les recommandations qui lui ont été adressée le mois dernier par le Comité des droits de l’Homme des Nations unies.
Nos associations organiseront en outre plusieurs événements de sensibilisation et de plaidoyer :
- Commémoration de la journée nationale contre la torture avec une visite du tombeau du martyr Nabil Barketi à Gaafour ;
- Lancement d’une série de photos et d’affiches pour sensibiliser le grand public quant au danger de la torture, la lutte contre l’impunité et la nécessité de soutenir la justice transitionnelle, par la Fondation du martyr de la liberté Nabil Barketi Dhekra et Wafa sur son site web : http://nabil.tn/
- Publication du rapport annuel de l’Organisation Contre la Torture en Tunisie ;
- 8 – 28 mai : Déroulement de la campagne « Al Adala Awwalan » lancée par l’Organisation Mondiale Contre la Torture afin de soutenir la justice transitionnelle
Organisations signataires :
- Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme (LTDH)
- Organisation Contre la Torture en Tunisie (OCTT)
- Organisation du Martyr de la Liberté Nabil Barkati, Dhekra wa wafa
- Association des Magistrats Tunisiens (AMT)
- Association Tunisienne des Femmes Démocrates (ATFD)
- Forum Tunisien pour les Droits Economiques et Sociaux (FTDES)
- No Justice No peace
- Association Tunisienne de défense des libertés individuelles (ADLI)
- Association des Femmes Tunisiennes pour la Recherche sur le Développement (AFTURD)
- Association Internationale de soutien aux prisonniers politiques (AISPP)
- Democratic transition & human rights support center (DAAM)
- Organisation mondiale contre la torture (OMCT)
- Avocats Sans Frontières (ASF)
- International Center for Transitional Justice (ICTJ)
- International Alert
- Coordination nationale indépendante de la justice transitionnelle (CNIJT)
- Association Al Karama
- « By الحوم? »
- Association Tunisienne pour l’égalité et la justice (Damj)
Annexe : Recommandations du Comité des droits de l’homme des Nations unies concernant la justice transitionnelle :
- Publier le rapport final de l’Instance Vérité́ et Dignité́ dans le journal officiel de la République, adopter un plan d’action et des stratégies de mise en œuvre des recommandations formulées dans le rapport et mettre en place la commission parlementaire spéciale chargée de faire leur suivi
- Garantir que les entités publiques coopèrent avec les chambres criminelles spécialisées, assurer une gestion adéquate des magistrats et prendre des mesures contre toute tentative d’entraver le travail de ces chambres ;
- S’assurer que les plaintes portant sur des violations graves des droits de l’homme soumises à l’Instance Vérité et Dignité soient transférées à une autorité d’enquête indépendante et fassent l’objet, dans un délai raisonnable, d’une enquête approfondie et impartiale ;
- Garantir le droit des victimes de poursuivre des recours judiciaires, indépendamment des recours disponibles au sein de l’Instance Vérité et Dignité et des chambres criminelles spécialisées ;
- Veiller à ce que tous les auteurs de graves violations des droits de l’homme commises pendant la période couverte par la loi de justice transitionnelle, y compris les supérieurs hiérarchiques militaires et civils, soient poursuivis et, si reconnus coupables, condamnés à des peines proportionnées à la gravité de leurs actes ;
- S’assurer que les victimes de violations graves des droits de l’homme visés par la loi sur la justice transitionnelle obtiennent une réparation adéquate et soient indemnisées rapidement et équitablement.