Le bassin minier : où l’on rêve toujours d’une goutte d’eau
Article écrit par Ben Othmane Rabah : coordinateur régional du projet de la justice environnementale section du bassin minier
Souffrant des coupures d’eau en continu depuis plus de dix ans, les habitants de la région du bassin minier expriment leur désarroi et leur malaise. Malgré leurs actions de protestations cet été, rien n’a changé. Au contraire, la situation semble aller en s’aggravant. Retour sur les mobilisations de l’été 2018 à Redeyef et à Mdhilla pour le droit à l’eau potable.
- De Redeyef à Mdhilla : des souffrances et des appels de détresse
Redeyef : Protestations et appels de secours laissés sansréelle solution
La situation à Redeyef est inédite, la question des coupures d’eau étant omniprésente toute l’année. Dans des quartiers comme « cité sidi Abdelkader » et le « cité du maghreb arabe », on enregistre des coupures même en l’hiver alors que logiquement le taux d’exploitation de l’eau diminue en cette saison. Plusieurs questions se posent quant aux capacités de la SONEDE à présenter un service acceptable et durable.
Face à cette problématique, les habitants de Redeyef, accompagnés de représentants de la société civile, ont décidé le samedi 30 juin 2018 de se diriger vers la Compagnie de Phosphate de Gafsa (CPG) pour arrêter la laverie. Sachant que Redeyef est la seule ville minière où la compagnie publique utilise de l’eau potable pour laver le phosphate, ce mouvement citoyen a ainsi réagit face à l’indifférence des dirigeants et en a appelé à toutes les sensibilités du pays pour soutenir les habitants de cette ville privée du droit constitutionnel à l’eau.
Suite à cette protestation, les autorités régionales se sont vues obliger de répondre et trouver une solution. Dans ce cadre, il a été discuté et décidé que la CPG soutienne « l’effort » de la SONEDE pour assurer la desserte de l’eau à tous les habitants de Redeyef. Un accord a même été signé entre le gouverneur de Gafsa, le secrétaire d’Etat de l’agriculture et le président directeur général de la CPG : cet accord prévoyait que la compagnie pompe et destine 1200 m³ par jour aux habitants. Cette quantité devait être prélevée six heures par jour, soit de 14 h à 17 h et de 3 h à 6 h du matin.
Malgré cet effort, le problème ne s’est pas résolu. Les coupures dans les zones hautes n’ont pas cessé, annonçant ainsi le retour des protestations. Les habitants ont ainsi organisé deux manifestations : un sit-in le 7 juillet dans la zone industrielle et plus précisément dans la laverie de la CPG à Redeyef, et un autre le 8 juillet dans le siège social de la CPG. Le slogan principal de cette dernière manifestation « nous voulons l’eau », peut résumer l’essentiel des revendications.
Suite à cette protestation, une réunion s’est tenue dans le bureau du directeur du siège de la CPG ) à Redeyef avec le président de la section FTDES de Redeyef, le coordinateur du projet de la justice environnementale, deux ingénieurs de la CPG et quatre personnes représentant les quartiers sinistrés. Notre objectif était de trouver une solution immédiate. Pour nous, il était clair que la quantité d’eau fournie par la CPG ne suffisait pas. Notre demande consistait alors à améliorer l’accord signé pour résoudre le problème complètement, mais l’administration générale de la CPG a refusé sous prétexte que cela menacerait les droits des travailleurs et la durabilité de la production.
Mdhilla : Les habitants, confrontés également aux poursuites judiciaires
A Mdhilla où sont implantées les activités à la fois de la CPG et du Groupe Chimique Tunisien, la même problématique se pose mais différemment dans la mesure où la durée des coupures de l’eau peut parfois dépasser 20 jours successifs. C’est notamment le cas du quartier El Hay Elguebli que nous avons visité et où nous avons pu constater la détresse des habitants, obligés d’acheter de l’eau ou d’attendre les citernes de la préfecture.
Les potentiels hydrauliques de cette ville sont très limités et la nappe existante ne peut pas satisfaire tous les habitants. La SONEDE achemine ainsi l’eau de la zone de « Ortos » très proche de la ville d’Elguetar, à travers un réseau de 25 km qui est d’ailleurs la cause principale des perturbations de la distribution de l’eau : très vétuste, le réseau ne bénéficie pas d’une maintenance suffisante étant donné qu’il n’y a seulement que 2 travailleurs responsables des infrastructures pour 4500 abonnés.
Pour les habitants humiliés et dégradés de « Hay el Guebli », le blocage de la circulation des camions de la CPG s’est finalement présenté comme la dernière solution face à l’indifférence des autorités locales et régionales.
« On n’est pas des animaux pour être traités de la sorte ! Nous sommes tunisiens et on ne trouve pas une seule goutte d’eau pour boire pendant les mois d’été !!! » a crié Fatma, une habitant du quartier, lorsqu’on l’a rencontrée dans sa maison.
Ce qui se passe à Mdhilla est inhumain, injuste : la ville où sont implantés les deux grandes compagnies du pays, est assoiffée !!!
Au lieu de présenter des excuses et des solutions aux habitants, les autorités ont enclenché la machine sécuritaire et judiciaire. Six jeunes ont été arrêtés au motif d’avoir bloqué la route, la circulation et le travail.
La tension a alors atteint son apogée et toutes les sensibilités se sont unies pour défendre la ville et ses jeunes. En cela, plusieurs réunions se sont organisées dans la préfecture afin d’essayer de trouver une solution. Le préfet a ainsi promis d’essayer de régler la situation des jeunes arrêtés, et concernant la problématique de l’eau, de réparer le canal principal le plus tôt possible. Mais finalement, ce n’était rien que des promesses et le feuilleton des coupures perdure jusqu’à aujourd’hui.
- La SONEDE et la CPG : une responsabilité partagée
Actuellement, la SONEDE exploite 3 forages qui pompent presque 5000m³par jour pour la ville de Redeyef. Le manque enregistré est de 26 L /s et doit être couvert par des nouveaux forages. Seulement, la faiblesse des autorités locales et régionales ainsi que les problèmes fonciers, rendent incapable la SONEDE de combler ses lacunes. Par ailleurs, la mauvaise gouvernance au sein de cette société, la vétusté du réseau, l’absence d’une stratégie claire pour anticiper les interruptions et l’absence d’une politique de communication lors des coupures sont également responsables de la situation de crise. Par exemple à Redeyef, les stations de pompage ne sont pas protégées malgré le nombre de gardiens en principe affectés à cette mission. C’était d’ailleurs l’un des points qui avaient été signalé au président directeur général de la Sonede lors de sa visite à Redeyef en2017, parmi d’autres problèmes soulevés, comme l’absence d’une main d’œuvre qualifiée et d’équipement adéquat dans le secteur de Redeyef. Il est important de noter que des actes de vandalisme ont aussi aggravé la situation, et qu’ils auraient été bien souvent perpétrés avec la complicité des ouvriers de la Sonede. En effet, et comme l’avait reconnu le préfet de Redeyef lors d’une réunion normale du conseil municipal (avant les élections municipales) ,le nombre effrayant de raccordements illicites nécessite des recours en justice pour faire cesser ces violations.
Par ailleurs, si la Sonede est responsable en premier lieu de garantir un service d’eau potable continu, la situation est un peu différente à Redeyef où nous avons pu le voir, la CPG exploite la même nappe d’eau potable(tarfaya) pour laver le phosphate (dans les autres villes, la CPG utilise des eaux ou le taux de salinité dépasse le 5g/L et qui par conséquent ne sont pas potables).Ainsi, la CPG est appelée à en tenir compte et à soutenir « l’effort » de la SONEDE, car en fin de compte il est inacceptable de laver le phosphate quand les habitants de Redeyef sont privés d’une goutte d’eau. De plus, la compagnie exploite la nappe d’une manière intensive. Dernièrement adoptée, la loi 35 sur la responsabilité sociétale des entreprises doit en principe l’inciter à rationaliser l’exploitation de ces ressources naturelles (article 3 tiret 2), l’eau étant une richesse nationale à protéger pour futures générations.
En conclusion, il est urgent que les autorités traitent avec rigueur et sérieux la problématique car jusqu’à maintenant, qu’elles n’ont pas fait preuve d’une stratégie claire et efficace pour éradiquer les problèmes liés aux coupures d’eau.
De même que la présence de ces deux grandes compagnies dans la région est un potentiel important à exploiter (actuellement, et à mon avis, ce n’est pas vraiment un potentiel pour la région..), les pertes de la CPG et GCT liées aux blocages des habitants victimes des coupures d’eau peuvent être considérables. Il est impératif de chercher et explorer des alternatives pour protéger les richesses hydriques de la région, telle que par exemple, l’utilisation de l’eau de mer pour laver le phosphate, plutôt que l’eau potable des nappes phréatiques .Jusqu’à aujourd’hui, on a beaucoup parlé du programme de désalinisation dans le bassin minier mais, rien ne s’est concrétisé. Enfin, la lutte pour l’eau dans le bassin minier nécessite davantage de mobilisation, pour assurer la continuité des mouvements. Dans ce sens, la section du FTDES travaille, et compte bien ouvrir d’autres dossiers tout aussi importants, à l’instar de la problématique de la qualité de l’eau et sa relation avec les maladies qui existent dans la région.
Le bassin minier : où l’on rêve toujours d’une goutte d’eau
Article écrit par Ben Othmane Rabah : coordinateur régional du projet de la justice environnementale section du bassin minier
Souffrant des coupures d’eau en continu depuis plus de dix ans, les habitants de la région du bassin minier expriment leur désarroi et leur malaise. Malgré leurs actions de protestations cet été, rien n’a changé. Au contraire, la situation semble aller en s’aggravant. Retour sur les mobilisations de l’été 2018 à Redeyef et à Mdhilla pour le droit à l’eau potable.
- De Redeyef à Mdhilla : des souffrances et des appels de détresse
Redeyef : Protestations et appels de secours laissés sansréelle solution
La situation à Redeyef est inédite, la question des coupures d’eau étant omniprésente toute l’année. Dans des quartiers comme « cité sidi Abdelkader » et le « cité du maghreb arabe », on enregistre des coupures même en l’hiver alors que logiquement le taux d’exploitation de l’eau diminue en cette saison. Plusieurs questions se posent quant aux capacités de la SONEDE à présenter un service acceptable et durable.
Face à cette problématique, les habitants de Redeyef, accompagnés de représentants de la société civile, ont décidé le samedi 30 juin 2018 de se diriger vers la Compagnie de Phosphate de Gafsa (CPG) pour arrêter la laverie. Sachant que Redeyef est la seule ville minière où la compagnie publique utilise de l’eau potable pour laver le phosphate, ce mouvement citoyen a ainsi réagit face à l’indifférence des dirigeants et en a appelé à toutes les sensibilités du pays pour soutenir les habitants de cette ville privée du droit constitutionnel à l’eau.
Suite à cette protestation, les autorités régionales se sont vues obliger de répondre et trouver une solution. Dans ce cadre, il a été discuté et décidé que la CPG soutienne « l’effort » de la SONEDE pour assurer la desserte de l’eau à tous les habitants de Redeyef. Un accord a même été signé entre le gouverneur de Gafsa, le secrétaire d’Etat de l’agriculture et le président directeur général de la CPG : cet accord prévoyait que la compagnie pompe et destine 1200 m³ par jour aux habitants. Cette quantité devait être prélevée six heures par jour, soit de 14 h à 17 h et de 3 h à 6 h du matin.
Malgré cet effort, le problème ne s’est pas résolu. Les coupures dans les zones hautes n’ont pas cessé, annonçant ainsi le retour des protestations. Les habitants ont ainsi organisé deux manifestations : un sit-in le 7 juillet dans la zone industrielle et plus précisément dans la laverie de la CPG à Redeyef, et un autre le 8 juillet dans le siège social de la CPG. Le slogan principal de cette dernière manifestation « nous voulons l’eau », peut résumer l’essentiel des revendications.
Suite à cette protestation, une réunion s’est tenue dans le bureau du directeur du siège de la CPG ) à Redeyef avec le président de la section FTDES de Redeyef, le coordinateur du projet de la justice environnementale, deux ingénieurs de la CPG et quatre personnes représentant les quartiers sinistrés. Notre objectif était de trouver une solution immédiate. Pour nous, il était clair que la quantité d’eau fournie par la CPG ne suffisait pas. Notre demande consistait alors à améliorer l’accord signé pour résoudre le problème complètement, mais l’administration générale de la CPG a refusé sous prétexte que cela menacerait les droits des travailleurs et la durabilité de la production.
Mdhilla : Les habitants, confrontés également aux poursuites judiciaires
A Mdhilla où sont implantées les activités à la fois de la CPG et du Groupe Chimique Tunisien, la même problématique se pose mais différemment dans la mesure où la durée des coupures de l’eau peut parfois dépasser 20 jours successifs. C’est notamment le cas du quartier El Hay Elguebli que nous avons visité et où nous avons pu constater la détresse des habitants, obligés d’acheter de l’eau ou d’attendre les citernes de la préfecture.
Les potentiels hydrauliques de cette ville sont très limités et la nappe existante ne peut pas satisfaire tous les habitants. La SONEDE achemine ainsi l’eau de la zone de « Ortos » très proche de la ville d’Elguetar, à travers un réseau de 25 km qui est d’ailleurs la cause principale des perturbations de la distribution de l’eau : très vétuste, le réseau ne bénéficie pas d’une maintenance suffisante étant donné qu’il n’y a seulement que 2 travailleurs responsables des infrastructures pour 4500 abonnés.
Pour les habitants humiliés et dégradés de « Hay el Guebli », le blocage de la circulation des camions de la CPG s’est finalement présenté comme la dernière solution face à l’indifférence des autorités locales et régionales.
« On n’est pas des animaux pour être traités de la sorte ! Nous sommes tunisiens et on ne trouve pas une seule goutte d’eau pour boire pendant les mois d’été !!! » a crié Fatma, une habitant du quartier, lorsqu’on l’a rencontrée dans sa maison.
Ce qui se passe à Mdhilla est inhumain, injuste : la ville où sont implantés les deux grandes compagnies du pays, est assoiffée !!!
Au lieu de présenter des excuses et des solutions aux habitants, les autorités ont enclenché la machine sécuritaire et judiciaire. Six jeunes ont été arrêtés au motif d’avoir bloqué la route, la circulation et le travail.
La tension a alors atteint son apogée et toutes les sensibilités se sont unies pour défendre la ville et ses jeunes. En cela, plusieurs réunions se sont organisées dans la préfecture afin d’essayer de trouver une solution. Le préfet a ainsi promis d’essayer de régler la situation des jeunes arrêtés, et concernant la problématique de l’eau, de réparer le canal principal le plus tôt possible. Mais finalement, ce n’était rien que des promesses et le feuilleton des coupures perdure jusqu’à aujourd’hui.
- La SONEDE et la CPG : une responsabilité partagée
Actuellement, la SONEDE exploite 3 forages qui pompent presque 5000m³par jour pour la ville de Redeyef. Le manque enregistré est de 26 L /s et doit être couvert par des nouveaux forages. Seulement, la faiblesse des autorités locales et régionales ainsi que les problèmes fonciers, rendent incapable la SONEDE de combler ses lacunes. Par ailleurs, la mauvaise gouvernance au sein de cette société, la vétusté du réseau, l’absence d’une stratégie claire pour anticiper les interruptions et l’absence d’une politique de communication lors des coupures sont également responsables de la situation de crise. Par exemple à Redeyef, les stations de pompage ne sont pas protégées malgré le nombre de gardiens en principe affectés à cette mission. C’était d’ailleurs l’un des points qui avaient été signalé au président directeur général de la Sonede lors de sa visite à Redeyef en2017, parmi d’autres problèmes soulevés, comme l’absence d’une main d’œuvre qualifiée et d’équipement adéquat dans le secteur de Redeyef. Il est important de noter que des actes de vandalisme ont aussi aggravé la situation, et qu’ils auraient été bien souvent perpétrés avec la complicité des ouvriers de la Sonede. En effet, et comme l’avait reconnu le préfet de Redeyef lors d’une réunion normale du conseil municipal (avant les élections municipales) ,le nombre effrayant de raccordements illicites nécessite des recours en justice pour faire cesser ces violations.
Par ailleurs, si la Sonede est responsable en premier lieu de garantir un service d’eau potable continu, la situation est un peu différente à Redeyef où nous avons pu le voir, la CPG exploite la même nappe d’eau potable(tarfaya) pour laver le phosphate (dans les autres villes, la CPG utilise des eaux ou le taux de salinité dépasse le 5g/L et qui par conséquent ne sont pas potables).Ainsi, la CPG est appelée à en tenir compte et à soutenir « l’effort » de la SONEDE, car en fin de compte il est inacceptable de laver le phosphate quand les habitants de Redeyef sont privés d’une goutte d’eau. De plus, la compagnie exploite la nappe d’une manière intensive. Dernièrement adoptée, la loi 35 sur la responsabilité sociétale des entreprises doit en principe l’inciter à rationaliser l’exploitation de ces ressources naturelles (article 3 tiret 2), l’eau étant une richesse nationale à protéger pour futures générations.
En conclusion, il est urgent que les autorités traitent avec rigueur et sérieux la problématique car jusqu’à maintenant, qu’elles n’ont pas fait preuve d’une stratégie claire et efficace pour éradiquer les problèmes liés aux coupures d’eau.
De même que la présence de ces deux grandes compagnies dans la région est un potentiel important à exploiter (actuellement, et à mon avis, ce n’est pas vraiment un potentiel pour la région..), les pertes de la CPG et GCT liées aux blocages des habitants victimes des coupures d’eau peuvent être considérables. Il est impératif de chercher et explorer des alternatives pour protéger les richesses hydriques de la région, telle que par exemple, l’utilisation de l’eau de mer pour laver le phosphate, plutôt que l’eau potable des nappes phréatiques .Jusqu’à aujourd’hui, on a beaucoup parlé du programme de désalinisation dans le bassin minier mais, rien ne s’est concrétisé. Enfin, la lutte pour l’eau dans le bassin minier nécessite davantage de mobilisation, pour assurer la continuité des mouvements. Dans ce sens, la section du FTDES travaille, et compte bien ouvrir d’autres dossiers tout aussi importants, à l’instar de la problématique de la qualité de l’eau et sa relation avec les maladies qui existent dans la région.