Nejib Akesbi
- Evolution des négociations
Des discussions exploratoires sont engagées en 2012 pour le lancement des négociations relatives à un ALECA entre le Maroc et l’UE. Le Maroc est considéré déjà bien avancé dans l’harmonisation de sa législation avec l’UE, et c’est pourquoi il est le premier des PSEM à engager des négociations de type ALECA. En fait il devait servir de « référence » aux autres qui allaient suivre… puisqu’il est réputé plus flexible, plus facile à « dompter »…
Observation : C’est toujours l’UE qui annonce les négociations, prépare des rapports «justificatifs» pour faire miroiter des « gains » (même à long terme!…) et donner le ton aux négociations…
Objectif majeur : Une intégration réelle du marché marocain au marché intérieur européen.
- Questions à l’ordre du jour des négociations (une vingtaine de « chantiers ») :
- Normes techniques pour les produits industriels
- Mesures sanitaires et phytosanitaires
- Procédures douanières et facilitation des échanges
- Marchés publics
- Protection des investissements
- Mouvements de capitaux et de paiements
- Propriété intellectuelle
- Politique de concurrence
- Aspects commerciaux du développement durable
Et surtout, deux dossiers épineux :
- libéralisation des services
- et mobilité des personnes (droit d’établissement…)
Alors que la libéralisation des biens est loin de tenir ses promesses, l’UE semble faire dans la fuite en avant, une « fuite » cependant essentiellement motivée par ses propres intérêts : il s’agit de passer par-dessus les problèmes de protectionnisme en déplaçant le débat vers des terrains où elle ne peut encore qu’avoir tout à gagner, à savoir :
- Les services,
- Les normes
- Les marchés publics
- Les investissements
- La propriété intellectuelle…
- Pour l’économie marocaine…
En ce qui concerne la libéralisation des services, les négociations traînent en fait depuis 2008… Pour le Maroc, les services sont à la fois très importants (part du PIB, potentiel d’export…), très vulnérables, et surtout réglementés, voire « corporatisés »… Il s’agit d’un « secteur » très large, avec plus de 150 sous-secteurs, notamment : Transport, distribution, finance, tourisme, télécoms, BTP, et émergence d’autres tels la publicité, l’immobilier, le conseil en gestion, l’offshoring… Ce sont d’ailleurs ces mêmes activités pour lesquelles le Maroc a déjà fait le plus de concessions dans le cadre multilatéral (OMC) et bilatéral (ALE avec les USA). L’UE dispose donc en la matière d’une base de référence qui lui est déjà favorable.
La libéralisation des services pose naturellement la question ultra-sensible du « droit d’établissement », mais de surcroît, elle est indissociable de la question –également ultra-sensible pour l’UE- de la libre circulation des personnes… Comment libéraliser les services sans accorder la mobilité aux personnes offrant ces services ? Un accord sur la mobilité a été signé (début 2013) mais il ne fait qu’assouplir les procédures pour certaines catégories de personnes comme les enseignants et les universitaires… Or, ce dont il est question, c’est de permettre à des professions comme les médecins et les avocats de s’inscrire dans le cadre des instances ordinales de l’autre pays et d’y exercer normalement leur profession. La convergence conduit à instaurer des équivalences de diplômes. Là c’est du côté européen que les réticences apparaissent…
- Négociations opaques et sources d’inquiétudes
Lorsqu’elles avaient lieu (2013-2015), les négociations se tenaient dans le secret absolu et c’était déjà très inquiétant. Les sujets d’inquiétude sont nombreux :
- Protection de la propriété intellectuelle : L’enjeu est notamment de prolonger le monopole du marché du médicament par les multinationales et retarder l’entrée des médicaments génériques, moins chers…
- Protection des investissements : Protection plus des investisseurs que des producteurs et des consommateurs…
- Concurrence et marchés publics : Au détriment des entreprises nationales, et démantèlement de ce qui reste du secteur public…
- « Harmonisation graduelle du cadre législatif et réglementaire marocain avec l’acquis communautaire » (De quel « acquis » s’agit-il ? Un acquis pour « eux » peut-il l’être pour « nous » ?)
Les négociations sont actuellement au point mort. La 5ème session de négociation qui devait avoir lieu en juillet 2014 avait été reportée, puis en 2015, la partie marocaine avait demandé une « pause » pour lui permettre de procéder à des études d’évaluation et d’impact, avant de reprendre les « rounds »… Il faut dire que ce qui était particulièrement frappant était la médiocre préparation de l’équipe de négociateurs marocains, sa passivité et sa faible capacité à conduire une véritable stratégie de négociation, dotée d’objectifs précis et de moyens conséquents… Lors du dernier round, et tout au plus se contentait-elle de demander qu’on tienne compte de la dimension « développement » dans l’accord, et de procéder de manière progressive et sélective…
Cet argument (des études à réaliser) n’est pas faux, mais d’autres considérations se sont ajoutées, parmi lesquelles on peut citer :
- Le déficit de plus en plus lourd accumulé chaque année dans les échanges avec l’UE, et parallèlement la « frustration » toujours prégnante sur le « dossier agricole », la partie marocaine n’obtenant jamais pleinement satisfaction sur ses demandes récurrentes ;
- La prise de conscience grandissante de se trouver pris dans l’étau d’ALE multiples qui se sont quasiment tous révélés défavorables pour le pays (Cf. notamment le Rapport du Conseil économique, social et environnemental à ce sujet…) ;
- Les pressions des lobbies professionnels et corporatistes (CGEM, mais aussi différentes corporations des professions libérales et services divers…) qui arrivent à convaincre l’Etat que le pays n’est guère encore prêt pour une telle libéralisation, aux conséquences potentiellement dangereuses pour tout le monde…
- Dans un tel contexte, des « affaires » comme celle du jugement de la Cour Européenne de Justice (CEJ), considérant que les accords, agricole et de pêche, ne concernent pas le territoire du « Sahara occidental », ou de pays comme la Suède qui menacent de temps à autre de reconnaître la « république sahraouie »… Cela n’est évidemment pas fait pour arranger les choses.
Pour l’instant donc, et au moins jusqu’à ce que l’hypothèque des « jugements » de la CEJ ne soient pleinement et définitivement levé, le « dossier » n’est guère appelé à évoluer significativement.